François Dietrich est né le 15 janvier 1919 à
Wintzenheim. Enfant espiègle et travailleur, il débute
une formation de pilote à l'école Caudron d'Ambérieu
après avoir obtenu son brevet de pilote. Lorsque la guerre
éclate, il se trouve en Tunisie. Il rentre alors en métropole
et le 2 août 1939, le sergent-pilote François
Dietrich est affecté au Groupe de
Chasse II/4, au sein de la 3e Escadrille, les "Diables Rouges",
équipée d'avions de chasse Curtiss Hawk 75. La 3e Escadrille
quitte Reims le 28 août 1939 pour se baser à Xaffévillers,
près de Rambervillers (Vosges).
Le 12 novembre 1939, l'unité reçoit la visite d'Edouard
Daladier, Président du Conseil, accompagné du Général
Tetu, commandant la Région aérienne, du Général
d'Armée aérienne Joseph Vuillemin, chef d'État-major
de l'Armée de l'Air, de Guy La Chambre, Ministre de l'air à
qui l'on doit la commande aux USA de 100 avions Curtiss H75 en 1938,
et du Général Bourret, commandant la 5ème Armée
terrestre.
A cette date, le bilan provisoire du GC II/4
était de 16 victoires aériennes dont 4 à l'Adjudant
Camille Plubeau de la 4ème
Escadrille (Petits Poucets) et de 2 morts. Le Président Daladier
remet les décorations suivantes :
- Croix de Grand Officier de la Légion d'Honneur au Général
d'Harcourt, Chef d'État-major de la Chasse
- Citation au Groupe de Chasse II/4 (Commandant
André Borne)
- Citation à l'Escadrille des Diables Rouges (Lieutenant Régis
Guieu)
- Croix de Guerre avec Étoile de Bronze aux quatre pilotes
ayant participé au combat du 8 septembre 1939 (les deux premières
victoires de la Chasse française) : Adjudant-chef Robert
Cruchant, Adjudant Pierre Villey,
Sergent-chef Antoine Casenobe, et
Sergent François Dietrich.
Curtiss H-75 du GC II/4
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CAMPAGNE
DE FRANCE
25 mai 1940
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récits sont extraits
du Journal de Marche de la SPA 160 "Diables Rouges"
et de la SPA 155 "Petits Poucets", l'histoire au
jour le jour des pilotes de l'Armée française,
Groupe de Chasse II/4, du 15 mai 1939 au 25 août 1940
:
Ce matin, une mission de protection. Villey
et Dietrich n'en sont pas
revenus... (Nous devions protéger) un Potez travaillant
à vue sur les axes au Nord de Rethel. Tout le groupe
(était) en l'air. L'Escadrille aux étages élevés,
assure la protection du dispositif. Décollent en 3
patrouilles, de bas en haut : Capitaine Régis
Guieu et Commandant Constantin Rozanoff,
puis Pierre Villey et François
Dietrich. En haut Jean Paulhan,
Antoine Casenobe et Jean
Guillou. Le Commandant Rozanoff
abandonne pour ennui d'hélice. Villey
et Dietrich viennent alors
se joindre à moi en patrouille simple. La mission se
passe bien ; mais nous sommes entourés et signalés
par quelques tirs de D.C.A. boche, juste au Nord de Rethel.
Comme c'est répugnant de songer que toute cette vermine
germanique s'est déjà installée pour
nous faire du mal sur ce coin de terre de France que nous
connaissons si bien, nous les anciens Rémois ! Les
villages y brûlent.
Après la mission, tout le dispositif s'en retourne...
trop lentement, dans nos lignes, Casenobe qui est tout à
fait en haut a vu se rapprocher 3 puis 2 points noirs : 5
Messerschmitt qui foncent et nous rattrapent. Casenobe
signale en vitesse à Paulhan
l'attaque ennemie et dégage le Lieutenant Guillou
qui avait déjà l'un d'eux dans la queue. Virage
pour faire face aux autres, il ne voit plus rien. Paulhan
poursuit un instant le premier qui passe en piqué tout
près de moi et esquive en faisant des tonneaux lents
en piqué ! puis piqué accentué avec 2
ou 3 Curtiss aux fesses. Le 8 d'Antoine
de la Chapelle s'est joint à nous. Le boche redresse
au ras des marguerites et fonce chez lui à belle allure.
Je ne puis arriver à m'approcher assez pour tirer efficacement...
Suippes où cela a commencé est déjà
loin derrière nous. Nous franchissons le "no man's
land" du camp de Suippes, en coup de vent. Je vois alors
un Curtiss passer juste au-dessus de moi avec un grand excédent
de vitesse... et rattraper le boche. C'est Villey,
tu vas l'avoir, tu vas l'avoir !.. Je crois que je dis cela
à voix haute. Villey
commence son tir à 50 mètres. Tout au but. Je
vois ses incendiaires sur le boche. Celui-ci se met à
fumer. Il va sûrement percuter (le sol) d'un instant
à l'autre... Mais voilà que peu à peu
il gagne du terrain. Il prend lentement et sûrement
du champ tout en fumant... Qu'attend-il pour se poser. Bon
Dieu ! Je vois alors Dietrich
qui était à ma gauche remonter peu à
peu, comme dans une course de chevaux... Il va dépasser
Villey. Il est juste derrière
lui. Tout d'un coup l'avion de Villey
éclate en deux morceaux avec une explosion (50 mètres
d'altitude). Cela tombe et l'un des morceaux brûle,
cependant que sans savoir comment cela a pu se faire, je vois
Villey projeté au-dessus
de son avion..., son parachute s'ouvre, mais n'a pas le temps
de se déployer, et le malheureux tombe dans un layon
(de 50 mètres) entre 2 bois rectangulaires de sapins...
Cela n'a pas duré 5 secondes. Le parachute, entièrement
(déployé), vient se poser à coté
du pilote.
Le V de la Chapelle
a vu Dietrich percuter Villey
- Incompréhension. Pour moi, jai cru à
une attaque par larrière, brusque virage, rien.
Je repasse sur le lieu de laccident. Je ne vois plus
Dietrich. Je rentre avec
le V de la Chapelle.
Le soir aucune nouvelle de Dietrich.
Le lendemain, nous apprenons quil a été
retrouvé à 800 m à lest de Machault,
dans son avion détruit, mais non incendié...
et que lui était tué par balles..! Une énigme
qui ne sera sans doute jamais éclairée.
Une grande tristesse plane sur lEscadrille. Villey
nétait pas toujours commode et donnait parfois
du fil à retordre. Mais cétait un beau
diable et un fameux chasseur. Quelle perte pour nous ! Quant
au pauvre Dietrich, on laimait
bien. Et cétait un bon garçon qui promettait,
qui avait un cur dor, un caractère parfait
et qui faisait bien ce quon lui confiait.
Dans la journée que nous vivons, nous navons
plus le temps de nous appesantir. Nous ne parlons pas trop
des disparus, mais leur souvenir demeure, et leur vie montre
la voie à ceux qui, après eux, prennent le flambeau
Le 28 mai 1940, François
Dietrich fut inhumé au cimetière de Cauroy
(Ardennes, 12 km Ouest de Vouziers), aux côtés
de l'adjudant Pierre Villey.
Il ne revint au cimetière de Wintzenheim que le 24
novembre 1948.
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Le 29 mai 1940, le capitaine Régis Guieu adressa une lettre
au père de François Dietrich
:
" Monsieur,
J'ai le très pénible devoir de vous annoncer la
mort glorieuse pour son pays de votre fils, le Sergent François
Dietrich, de mon escadrille.
Cela s'est passé le 25 Mai à Machault (Ardennes),
au cours de l'attaque d'un avion allemand. Il a reçu une balle
dans la gorge, a dû se poser immédiatement, et il est
mort sans avoir souffert. Il a été tout de suite retiré
de son avion et emmené à Cauroy en ambulance. Il a été
enterré là le 26.
J'ai pu me rendre sur les lieux le 27, pour rechercher un de ses
camarades et anciens, l'Adjudant Villey, tombé non loin de
là. Ils reposent tous deux, côte à côte,
dans le petit cimetière de Cauroy. Unis dans la mort comme
ils le furent dans leur dernier vol. Leur tombe est nette et propre.
Elle a cette grandeur et cette simplicité qui rend si émouvants
les cimetières militaires.
Au moment où je vous écris, j'ai la gorge qui se
noue. Car Dietrich ne comptait à l'escadrille que des amis.
Il avait su se rendre sympathique à tous par son humeur égale
et parfaite. Il s'acquittait bien de tout ce qui lui était
confié. En l'air, il avait un cran et un allant admirable.
Je l'aimais tout particulièrement. Il était arrivé
à l'escadrille juste avant le départ en guerre et y
laisse un souvenir impérissable.
J'ai eu la douleur d'apprendre la nouvelle à son frère
qui est dans un régiment d'infanterie et que j'ai rencontré
à Cauroy même.
Je vous fais expédier aujourd'hui même par mandat
la somme de 2.262,55 Frs trouvée sur lui. Et je tiens à
votre disposition ses affaires personnelles dont l'inventaire a été
dressé à l'escadrille. J'attends de votre part l'indication
d'une adresse où faire parvenir ce qui lui a appartenu.
J'ai une demande à vous faire aussi. Je désirerais
que vous m'adressiez, pour l'escadrille où elle figurera toujours
à côté des autres pilotes morts pour la France,
la photo de votre fils.
En vous présentant, ainsi qu'à Madame Dietrich et
à votre famille mes condoléances très émues,
je vous prie de croire, Monsieur, à tout mon dévouement.
N'ayez pas trop de peine. Soyez fiers. Grâce à de nombreux
sacrifices, comme celui de votr fils, la France vivra.
Signé : Capitaine Régis Guieu, S.P. 819"