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COUPER LA PISTE HO CHI MINH
Dès le commencement des infiltrations nordvietnamiennes au Sud Viêt-nam, au début des années soixante, il devint évident qu'un des facteurs clefs du conflit serait la piste Hô Chi Minh. En réalité, il s'agissait d'un véritable réseau de pistes, traversant pour.la plupart le territoire laotien, et dont peu auraient mérité le nom de route : ces voies d'infiltration étaient à l'origine, dans la majorité des cas, des chemins de montagne abrupts et sinueux, ou des sentiers quasi impraticables traversant la forêt dense. Pendant la Seconde Guerre mondiale, certaines des premières voies composant la piste Hô Chi Minh avaient été nivelées et rehaussées de manière à permettre le passage des camions lors de la période des orages de la mousson, et dans les années soixante, les Nord-Vietnamiens firent travailler sans discontinuer des milliers de leurs nationaux (renforcés par des villageois du Sud réquisitionnés) à la réfection de la piste, dans le but de diminuer les risques d'encombrements et d'accidents. C'est par ces sentiers régulièrement entretenus qu'allait être acheminée la quasi-totalité du matériel destiné aux forces viêt-cong et nord-vietnamiennes opérant au Sud Viêt-nam. C'est la raison pour laquelle ils constituèrent un objectif de première importance pour les avions américains engagés sur ce théâtre d'opérations.
Dans les premiers temps, hormis les tirs de l'infanterie ennemie, l'US Air Force ne rencontra aucune résistance directe ; toutefois, la localisation de la piste se révéla d'emblée une tâche plus que malaisée. Même après que le pays eut été cartographié avec la plus grande exactitude et que le système de radionavigation de haute précision Loran eut été introduit, se diriger sur un tronçon déterminé de telle ou telle piste, ou simplement découvrir une cible de quelque sorte que ce fût, demandait des trésors d'adresse et beaucoup de chance. A intervalles réguliers, des attaques de grande envergure allaient être lancées à seule fin de défoncer les meilleures sections d'une piste, d'interdire temporairement toute circulation en provoquant l'effondrement de rochers ou tout bonnement de dissuader l'ennemi de l'utiliser pendant une courte période. Au début, l'efficacité des raids aériens fut le plus souvent nulle, ou du moins limitée à quelques heures. A la même époque,' de surcroît, les importants contingents de main-d'oeuvre sous contrôle communiste ne cessèrent d'améliorer la piste ; ainsi, en 1968, cette dernière constitua un réseau de communications sophistiqué, composé de routes principales et secondaires reliées entre elles par radio et par téléphone, dotées d'aires de stationnement et de repos, de centres de stockage de carburant, de postes d'entretien et de réparation, de dépôts de pièces détachées et d'autres fournitures indispensables. L'ensemble du réseau resta toujours méticuleusement camouflé, même après plusieurs tentatives américaines de défoliation massive, et fut, au fil des années, de mieux en mieux défendu.
Le programme Igloo White L'une des plus importantes tâches entreprises par le département
de la Défense des États-Unis fut de concevoir une méthode
permettant de localiser de manière infaillible les objectifs
situés le long de la piste susceptibles de faire l'objet d'une
attaque aérienne, tâche confiée au Defense Communications
Planning Group. Dans la première période de l'engagement
américain, de 1965 à 1967, presque toutes les attaques
aériennes furent dirigées contre des objectifs d'opportunité,
même si elles étaient guidées par un avion de
contrôle aérien avancé - à l'époque,
ordinairement un avion léger Cessna O-1 Bird Dog et, ultérieurement,
un O-2. Le rôle, peu enviable, des appareils de contrôle
aérien avancé consistait à s'approcher le plus
possible des objectifs visés, puis, quand une activité
ennemie était décelée - généralement
sous la forme de tirs antiaériens -, de localiser avec exactitude
la cible, de rameuter sur les lieux des avions d'attaque et, enfin,
de circonscrire l'objectif à l'aide de balises pyrotechniques
ou d'autres types. L'absence quasi complète de points de repère
au sol rendait cette tâche difficile et longue à réaliser,
et même les pilotes d'avions d'attaque les plus expérimentés
furent souvent désorientés par l'imprécision
des informations. Dire que les missions d'interdiction effectuées par les Américains
dans les premiers temps du conflit furent dans leur ensemble inefficaces
serait demeurer au-dessous de la réalité. Diverses formules de remplacement furent trouvées, mais deux d'entre elles méritent une mention spéciale : le programme Igloo White et les avions de transport convertis en appareils armés, ou gunship.
L'idée fondamentale du programme Igloo White - dérivée, il est vrai, de techniques éprouvées de détection de sous-marins en plongée - fut élaborée par les cerveaux de l'IDA (Institute for Defense Analysis), à Washington. Elle était fondée sur une constatation simple : tout objet se déplaçant à la surface de la terre émet des bruits et des vibrations décelables. Un insecte sur une feuille serait à coup sûr difficile à détecter en suivant ce principe, mais des piétons et des véhicules peuvent l'être au moyen de sondes acoustiques ultra-sensibles à des distances considérables. La méthode préconisée par le programme Igloo White consistait à larguer de tels engins là ou les convois de ravitaillement ennemis avaient le plus de chances de passer. Les opérations furent planifiées pour l'essentiel dans le complexe géant de l'Infiltration Surveillance Center (ISC), près de la base aérienne de Nakhon Phanom, en Thaïlande. C'est là que furent constituées des équipes d'experts chargées de déterminer, l'aide de données antérieures et de photographies de reconnaissance, les emplacements où pouvaient être semés les capteurs. Puis des appareils eurent pour mission de déposer les sondes acoustiques.
Les Adsid, Acoubuoy et Spikebuoy Les senseurs, utilisés par milliers, peuver être répartis
en trois types principaux. Le plus répandu, l'Air-delivered
seismic intrusion detector, ou Adsid, présentait l'aspet d'une
fusée de 7,6 cm de diamètre et 78,7 cm de long, dotée
d'un empennage et d'une excroissance postérieure en forme de
fourche. Lâché par un avion d'attaque F-4, ou même
un appareil de reconnaissance OP-2E Neptune, il était conçu
pour se planter dans le sol ; seule la fourche de la queue (les antennes
radio) devait rester apparente. Le autres senseurs du programme Igloo
White étaient l'Acoubuoy et le Spikebuoy, tout deux bien plus
volumineux que l'Adsid etcontenant des microphones ultra-sensible
capables de percevoir chaque son de la forêt ; eux aussi restaient
la plupart du temps inertes, ne réagissant qu'à des
sons d'une certaine intensité, qui révélaient
généralement la présence d'êtres humains.
L'Acoubuoy avait été étudié pour pendre,
accroché à son parachute pris dans les branches des
arbres; le Spikebuoy, quant à lui, s'enterrait, et seule son
antenne camouflée dépassait.
Chaque signal, émanant simultanément de plusieurs centaines de senseurs, était enregistré par un avion conçu pour servir de station de relais, qui transmettait l'information à l'Infiltration Surveillance Center, en Thaïlande. Ce rôle était rempli par un appareil qui servit en Asie du Sud-Est sans faire beaucoup parler de lui, le Lockheed EC121R, l'une des nombreuses variantes militaires du Lockheed Super Constellation, toutes connues sous le nom générique de Warning Star. Choisis pour leur importante charge utile et leur autonomie - de vingt heures - à basse altitude, ces machines volantes devaient suivre avec une grande précision le tracé d'une piste pendant plusieurs heures tout en restant dans le rayon d'action de tous les senseurs Igloo White en fonctionnement. En raison de leur coût, certains Warning Star furent remplacés, en 1971, par de petits monomoteurs Beech QU22 du programme Pave Eagle.
Les données fournies par les senseurs n'étaient pas les seules informations dont disposait l'Infiltration Surveillance Center de Nakhon Phanom ; les signaux émis par les RPV Teledyne Ryan 147 (désignés AQM-34L par l'USAF), ainsi que des photographies de reconnaissance classiques et des enregistrements infrarouges et de télévision étaient transmis également à FISC par les avions de guidage DC-130; ainsi, des images d'une grande netteté, obtenues à basse altitude de jour comme de nuit, parvenaient aux experts américains. A FISC, toutes les informations reçues, probablement plusieurs centaines, voire plusieurs milliers par seconde, étaient enregistrées par un ordinateur IBM 360-65 de grande puissance. Cet appareil de traitement de données, hautement performant, interprétait ensuite tous les signaux, déterminant à quel type d'activité ennemie ils correspondaient (transport de matériel, mouvements d'infanterie ou autres) et de quel endroit précis ils provenaient. Un convoi de camions constituait une cible de choix. Après avoir décollé, quelles que soient les conditions météorologiques, les avions d'attaqué envoyés en direction de l'objectif étaient informés, par relais, de la position exacte des véhicules. S'il s'agissait d'une cible d'une im portance primordiale, même les quelques secondes ou minutes que prenait FISC pour exploiter les données risquaient d'être trol longues : l'équipage de l'avion-relais Lock heed EC-121R transmettait alors directe ment aux appareils effectuant le raid des in formations concernant l'objectif.
Les Américains contraignirent les NordVietnamiens à
effectuer la plupart de leurs mouvements de troupes et de matériel
de nuit, mais, en contrepartie, leurs avions d'attaque furent considérablement
gênés par l'obscurité. Seuls quelques-uns d'entre
eux étaient dotés d'un équipement qui leur permettait
de localiser par eux-mêmes leurs objectifs. L'un d'eux était
le Grumman A-6A Intruder, opérant à partir des porte-avions
de l'US Navy et des bases des Marines au Viêt-nam. Les atouts
du A-6 comprenaient un radar particulièrement puissant et un
volumineux dispositif nommé Diane de même qu'une charge
offensive de 6 805 kg - beaucoup plus importante que celle des bombardiers
lourds de la Seconde Guerre mondiale. Le A-6A prit part à des
opérations au Viêtnam dès mars 1965, et, à
une seule brève ex- cela semble paradoxal, il incomba à
des chasception, fut le seul avion qui, jusqu'à la fin seurs
capables de voler à deux fois la vitesse du son de larguer
les fragiles appareils de détection acoustique du programme
Igloo White, tandis que les attaques réelles contre les colonnes
ennemies étaient menées par de lents avions de transport
à hélices. Ce paradoxe avait pour origine la conviction
du Captain Ronald Terry, de l'Aeronautical Systems Division de l'USAF,
selon laquelle il devait être possible de tirer latéralement
sur une cible au sol pendant plusieurs minutes à partir d'un
avion orbitant dans le ciel à basse altitude. Le premier gunship, le Douglas AC-47, arriva à la base aérienne de Tan Son Nhut en novemble 1965. Les AC-119, plus volumineux et, plus tard, différentes versions du AC-130 devaient dériver de cet appareil. Véritables croiseurs aériens, les AC-130 pouvaient orbiter pendant des heures, de nuit, dans les pires conditions météorologiques, détruisant, avec leurs mitrailleuses de 7,62 mm et leurs canons de 20, 40 et même 105 mm, des centai nes de camions localisés par les capteurs Igloo White.
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