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CASSER LES DENTS DU DRAGON
Un autre exemple, plus récent celui-là, de cette tendance est celui du pont de Thanh Hoa, au Viêt-nam du Nord, contre lequel l'aviation américaine s'acharna plusieurs années durant. Les Américains parvinrent incontestablement à interrompre à plusieurs reprises le trafic entre le Nord et le Sud par cet ouvrage d'art ; mais l'ennemi fit preuve d'une telle ingéniosité pour le rétablir que le travail accompli par l'US Air Force et l'US Navy ne porta pas ses fruits. Il fallut attendre le mois de mai 1972 pour que les avions de l'USAF réussissent enfin à « casser les dents du dragon », c'est-à-dire à écraser définitivement l'objectif. L'affaire n'était pas pour autant terminée : les Américains furent en effet dans l'obligation de lancer plusieurs autres attaques pour empêcher les Nord-Vietnamiens de réparer le pont. L'épilogue survint en octobre de la même année, lorsque le président Nixon ordonna l'arrêt des bombardements sur le Viêt-nam du Nord.
Dans l'intervalle, la région située autour de l'édifice avait pris un aspect lunaire, avec les innombrables cratères qu'y avaient creusés les milliers de bombes larguées par,les Américains. Les succès obtenus par l'aviation des Etas-Unis entre 1965 et 1972 dans ce secteur n'eurent qu'une très faible répercussion sur l'évolution générale de la guerre, et ils coûtèrent très cher en hommes et en matériel. Les canons antiaériens et les missiles sol-air nord-vietnamiens prélevèrent un lourd tribut sur les unités engagées dans cette action. Certains observateurs avancèrent que, même si le pont de Thanh Hoa avait été détruit beaucoup plus tôt, l'effort de guerre nord-vietnamien n'aurait pas été contrarié pour autant. Il va de soi que ce jugement a été émis a posteriori et qu'il est facile de tirer des conclusions dans ces conditions. Il reste que, à l'époque, l'urgence de la situation et la nécessité d'obtenir des résultats dans les délais les plus brefs justifiaient amplement ces attaques.
Situé à environ 115 km au sud de Hanoi, le pont de
Thanh Hoa enjambait une rivière qui porte le nom de Song Ma.
Construit entre 1957 et 1964, il bénéficiait d'une structure
extrêmement robuste, comme allaient l'apprendre à leurs
dépens les équipages des avions d'attaque américains.
L'ouvrage, qui était long de 165 m, avait une largeur de 17
m, et il constituait indéniablement un naeud de communication
de première valeur pour les Nord-Vietnamiens. Il n'est donc
pas surprenant qu'il figurât parmi les quatrevingt-quatorze
objectifs prioritaires que les chefs des états-majors combinés
américains se proposaient de détruire au début
de 1964. Une année entière s'écoula avant que les autorités politiques n'accordent aux militaires américains l'autorisation de lancer des bombardements de. précision contre un certain nombre de points stratégiques au Viêt-nam du Nord. Quand l'opération Rolling Thunder prit une plus grande ampleur, le pont de Thanh Hoa devint vite une cible de première importance pour l'US Air Force et l'US Navy.
Le premier - et sans doute le plus massif - des raids dont il allait
faire l'objet portait la dénomination de 9-Alpha. Lancé
le 3 avril 1965, il concerna soixante-dixneuf appareils placés
sous la responsabilité du Lieutenant Colonel Robinson
James Risner et n'avait d'autre but que de détruire définitivement
l'ouvrage. Les avions affectés à la force de raid opéraient
depuis dés bases situées en Thaïlande et au Viêt-nam
du Sud : il s'agissait en majorité de Republic F-105 Thunderchief
provenant de Korat et de Takhli. Seize des quarante-six F-105 étaient
armés de deux missiles air-surface Bullpup chacun, et les trente
autres emportaient des bombes de 340 kg, destinées à
l'objectif lui-même, mais également à l'annihilation
des canons antiaériens et des sites de missiles sol-air qui
l'entouraient. une vive opposition La destruction des moyens antiaériens nord-vietnamiens devait être aussi assurée par sept des vingt et un North American F-100 Super Sabre qui entraient dans la composition de la force d'attaque. Deux de ces avions étaient affectés à la reconnaissance météorologique, quatre à des patrouilles anti-MiG, et huit à la couverture des éléments chargés du sauvetage des équipages tombés en territoire ennemi. Parmi les autres appareils engagés dans l'action figuraient deux McDonnell RF-101 Voodoo et une dizaine de Boeing KC-135A Stratotanker, qui, orbitant au-dessus du Laos, devaient assurer le ravitaillement en carburant.
L'attaque se déroula sans poser de problème tactique majeur, mais la réaction qu'elle suscita fut très vive. Les canons antiaériens nord-vietnamiens parvinrent à abattre un F-100D (613 TFS / 401 TFW - 1Lt Geroge Craig Smith - Tué) et un RF-101C (45 TRS / 39 AD - Cpt Herschel Scott Morgan - Prisonnier), mais plusieurs autres avions plus ou moins gravement touchés réussirent à regagner leurs bases. Au vu des résultats des missions de reconnaissance menées un peu plus tard, il fallut pourtant se rendre à l'évidence : les Américains n'avaient causé que des dommages mineurs au pont de Thanh Hoa. Cela ne voulait pas dire que la précision du raid avait été mauvaise. Nombre de missiles et de bombes avaient en effet atteint leur but, mais l'ogive explosive de 113 kg du Bullpup était mal adaptée à un objectif d'une construction aussi massive. Les puissantes bombes de 340 kg, quant à elles, n'étaient parvenues qu'à arracher quelques éléments de la structure métallique. Quelques-unes atteignirent cependant la route qui passait par le pont, créant des cratères profonds qui contraignirent les Nord-Vtetnamiens à interrompre la circulation pendant quelques heures. Tel fut le seul résultat positif du raid.
L'US Navy prend le relais Peu de temps après, avec la mise en place du système
Route Package, attribuant aux diverses forces armées américaines
des zones d'opérations définies au Viêt-nam du
Nord, la mission de détruire l'ouvrage de Thanh Hoa passa sous
la responsabilité de l'US Navy. Pendant les trois années
qui allaient suivre, des appareils aussi divers que le Douglas A-3
Skywarrior, le Douglas A-4 Skyhawk, le Grumman A-6 Intruder, le F-4
Phantom et le Vought F-8 Crusader furent engagés au combat.
Ces sorties interrompirent à diverses reprises le trafic routier,
mais elles ne permirent pas d'endommager le pont de façon conséquente.
Parallèlement, les défenses antiaériennes nord-vietnamiennes
n'avaient cessé de se renforcer, gagnant en efficacité.
Elles enregistrèrent des succès réguliers entre
1965 et 1968, année au cours de laquelle le président
Johnson imposa un arrêt provisoire des bombardements. Les A-4 Skykawk jouèrent un rôle particulièrement
important dans ces actions. Armés de missiles Bullpup, ils
attaquèrent à plusieurs reprises l'ouvrage d'art nord-vietnamien.
Mais, comme les autres avions de la marine américaine, ils
n'obtinrent que de bien maigres résultats. En fait, tant que
les Américains ne disposeraient pas d'armements dits «
intelligents », le pont de Thanh Hoa demeurerait pratiquement
invulnérable, et il poserait toujours autant de problèmes
aux stratèges du Pentagone.
Bien qu'elle ne fût plus concernée en premier lieu par
Thanh Hoa, l'US Air Force mit sur pied une nouvelle opération
contre le pont à la fin du mois de mai 1966. Portant le nom
de code de Carolina Moon, celle-ci consistait dans le largage de mines
magnétiques de grandes dimensions (2,40 m de diamètre)
au moyen de Lockheed C-130 Hercules. Emportées par le courant,
ces mines devaient dériver jusqu'à l'ouvrage puis exploser
en passant dessous, dès que leurs capteurs auraient détecté
la présence de la masse métallique. Mais tout cela était
théorique, et, en réalité, les choses ne devaient
pas se dérouler de cette façon. Une tentative menée
par un Hercules n'eut que de bien piètres résultats,
Quatre des cinq mines larguées explosèrent sous le pont
sans lui infliger de dommages majeurs. Les missions de reconnaissance photographique effectuées après ce raid ayant montré que rien de tangible n'avait été obtenu, les Américains prirent la résolution de renouveler l'attaque au cours de la nuit suivante. Rien n'y fit, et l'avion à qui revint la mission ne regagna jamais sa base de Da Nang. On ne sut pas vraiment ce qu'il devint ; l'équipage d'un F-4 engagé dans une sortie de diversion rapporta qu'il avait enregistré des tirs massifs de la part des canons antiaériens ennemis et qu'il avait aperçu à un moment un éclair brillant au sol. On pense que le C-130 fut touché alors qu'il accomplissait sa course de bombardement à basse altitude.
Le coup final En 1968, en dépit de tous les efforts déployés
par les meilleures unités de l'US Navy et de l'US Air Force,
le pont de Thanh Hoa n'était toujours pas détruit. Découragés
par trente-six mois d'assauts infructueux, les Américains laissèrent
passer quatre années avant de reprendre leurs raids. Les Nord-Vietnamiens
profitèrent de ce répit inespéré pour
procéder aux réparations nécessaires et pour
relancer le trafic ferroviaire et routier au-dessus de la rivière
Song Ma. Ce fut l'invasion du Viét-nam du Sud par Hanoi, au printemps de 1972, qui poussa les Américains à reprendre leurs attaques contre le pont de Thanh Hoa, lequel, en fonction de ce qui s'était passé auparavant, constitua un objectif de la grande offensive aérienne lancée le 6 avril. Cette fois, les avions américains disposaient d'armes nouvelles et puissantes auxquelles les structures de l'édifice n'allaient pas résister. Il s agissait de bombes dites « intelligentes », à guidage optronique ou par laser. Baptisée Freedom Dawn, la nouvelle opération ne mit en jeu que peu d'avions à la fois, et le 8th Tactical Fighter Wing, basé à Ubon, porta les premiers coups au pont. Le 27 avril, une douzaine de F-4 Phantom, dont huit armés de bombes à guidage optronique, appartenant à cette formation se présentèrent au-dessus de l'objectif. Quand la poussière soulevée par les explosions retomba, les Nord-Vietnamiens se rendirent compte que l'ouvrage de Thanh Hoa avait subi une atteinte décisive, sans qu'ils aient pu infliger la moindre perte aux assaillants. Comme les piliers tenaient encore debout, les Américains décidèrent de venir achever le travail commencé.
Le 13 mai suivant, quatorze F-4 emportant neuf bombes de 1 360 kg
et quinze de 907 kg, toutes à guidage par laser, plus quarante-huit
projectiles classiques de 227 kg survolèrent Thanh Hoa, qui
figurait parmi les objectifs impartis à l'aviation américaine
dans le cadre de la campagne de bombardement Linebacker
I. Cette fois encore, les appareils purent mener leur attaque
sans subir de pertes, et ce malgré l'importance des moyens
antiaériens (canons et missiles solair) mis en place par les
Nord-Vietnamiens. Lorsque le raid prit fin, les pilotes des Phantom se dirigèrent
vers la Thaïlande, heureux de savoir que, plus jamais, leurs
chefs ne leur demanderaient de revenir sur cet objectif. Le pont avait
été, à n'en as douter, gravement atteint. Les
F-4 avaient « cassé les dents du dragon ». Les reconnaissances menées postérieurement à l'attaque montrèrent en effet que les bombes à guidage par laser s'étaient révélées d'une extraordinaire efficacité. Toute la partie occidentale de l'ouvrage s'était effondrée dans la rivière Song Ma. Les fondations s'étaient disloquées, et les superstructures ne formaient plus qu'un enchevêtrement de poutrelles métalliques. Même les plus pessimistes des responsables américains furent contraints de reconnaître que la remise en état du pont prendrait des mois. Le trafic routier et ferroviaire n'était donc pas près d'être rétabli à Thanh Hoa.
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Sources :
Avions de guerre numéro 34 ; le combat aérien aujourd'hui : Editions Atlas 1988
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